Le bénévolat

Ce dossier sur le bénévolat reprend les contenus parus dans la revue Azimut n°34 de septembre 2013.
Visuels d’illustration DR La Guillotière.

« Quand je serai grand, je deviendrai chef c’est sûr. Même si c’est pas payé. » Tim, 10 ans
« Ce qui change quand on est bénévole : on fait ça juste parce que ça fait plaisir. » Théo, 13 ans
« Etre bénévole, c’est pas comme du travail. C’est plus comme des vacances. » Alice, 9 ans

Affiche chefs Marie2

Le bénévolat, c’est cadeau !

En 2010, 11 à 12 millions de Français étaient bénévoles dans une association (BVA et IFOP pour France Bénévolat). Ces chiffres traduisent à quel point le besoin d’engagement au service d’une cause répond à un besoin de « faire quelque chose qui fasse sens pour la société (…) pour la rendre moins invivable autour de soi ». Cette expérience de gratuité est un des fondements du scoutisme. Et si, au-delà d’être une source de richesse immense pour ceux qui s’y engagent, l’action bénévole apportait aussi « ce petit truc en plus » qui donne sa saveur unique à la relation éducative qui se crée avec les enfants et les jeunes ?

Dossier coordonné par Emmanuelle Audras

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Bénévolat, l’art et la bannière

Donner de son temps et de sa personne sans autre contrepartie que la joie de voir grandir les enfants et les jeunes que l’on accompagne. Pour le scoutisme, le bénévolat est plus qu’une proposition : c’est un levier puissant qui traduit une vision de la relation éducative, alliant gratuité, liberté et engagement.

Théo et Clara viennent d’arriver à la caravane. Ils participent à leur premier vrai camp entre Noël et le premier de l’an. Ils y font une grande découverte en faisant la vaisselle avec leurs chefs, Mathilde et Hugo. En discutant de tout et de rien. Pour ça, c’est bien la vaisselle : il s’y dit toujours des choses importantes ! Et là, Théo et Clara comprennent que leurs chefs, eh bien… ils ne sont pas payés. Pas payés du tout du tout ! Ils sont, comme on dit, des bénévoles ! Et ça, c’est un choc pour eux. ça change tout ! Non pas que la vaisselle se fasse plus facilement. Ce qui change, c’est le regard qu’ils portent maintenant sur leurs chefs : ils sont là pour eux, rien que pour eux. Ils n’ont pas d’autre motivation que le plaisir de passer du temps avec eux et la joie de grandir avec eux. Cette prise de conscience est le point de départ d’une confiance qui peut s’installer en profondeur. C’est sur celle-ci que va pouvoir se construire la relation éducative entre les adultes et les adolescents.

Le bénévolat est une valeur tellement partagée dans le mouvement que nous manquons de mots pour en expliquer toute la richesse. Nous savons dire en quoi cet engagement nous fait grandir. Nous le revendiquons comme une valeur à promouvoir. Nous portons le témoignage que le plus important, pour nous, ne se vend pas et ne s’achète pas, mais se donne et se reçoit. Un militantisme en action qui ouvre des espaces de gratuité dans une société où prédominent les échanges marchands.

Le bénévolat éducatif est bien plus encore. C’est un formidable levier pour développer l’estime de soi. Par leur présence gratuite, sans même ouvrir la bouche, Mathilde et Hugo disent à Théo et Clara : « Vous avez assez d’importance à nos yeux pour que nous donnions de notre temps et de notre énergie avec vous et pour vous. Vous avez suffisamment de valeur à nos yeux pour que nous vous donnions de nous-mêmes ». En se donnant, on confère de la valeur à l’autre, et en retour de la valeur à soi-même.

C’est une liberté qui en appelle une autre

Dans le scoutisme, la gratuité et la liberté du bénévolat forment les fondations de la relation éducative. C’est sur cette liberté et cette gratuité que peuvent se poser l’autorité qui fait grandir, les exigences qui poussent à sortir de sa zone de confort, les limites qui permettent de vivre ensemble. Le bénévolat de l’éducateur est un appel. C’est une liberté qui en appelle une autre. La promesse des enflants et des adolescents ne peut se prononcer que dans l’expérience profonde d’une liberté qui est sollicitée par une autre. C’est ce bénévolat reçu comme un cadeau, cette liberté et ce don gratuit des chefs et cheftaines qui appellent les enfants et les adolescents à les suivre dans toutes les aventures jusqu’à se dépasser eux-mêmes, dans le service de la vie collective.

Mais comme tout cadeau, le bénévolat éducatif est fragile. Il est si tentant dans les moments difficiles d’en faire un élément de chantage « Si vous continuez, moi je m’en vais ! », « Avec tout le temps qu’on donne pour vous, vous pourriez faire un effort ! »… Un cadeau est un cadeau. Le faire payer lui enlève beaucoup de sa valeur.

C’est pour toutes ces raisons qu’il faut prendre le temps d’expliquer l’intérêt et l’esprit de ce bénévolat éducatif, non pas à Théo et Clara qui le comprennent en le vivant, mais à leurs parents. Pour qu’ils remercient les chefs et cheftaines bien sûr ! Mais aussi et surtout pour qu’ils comprennent que loin d’être des prestataires de service, les responsables Scouts et Guides de France sont des partenaires dont la relation éducative résonne très fort dans le registre de la gratuité avec celle, qu’eux, parents, ont tissé avec leurs enfants;

Philippe Bancon, délégué général 2008-2013

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Parole de terrain

« Le bénévole signifie la valeur immense
de la relation établie »

Hubert Pénicaud, après avoir travaillé de nombreuse années au sein de la Croix-Rouge française, est responsable national du développement associatif à l’Association des paralysés de France (APF). Nous l’avons interrogé sur les ressorts de l’engagement bénévole.

Souvent, une des sources de motivation de l’engagement bénévole est aussi de permettre des rencontres. Quel bénéfice tirent les bénévoles et les bénéficiaires d’une relation gratuite ?

Pour répondre à cette question, je vais prendre l’exemple d’une des actions organisées par la Croix-Rouge, les maraudes. Comme vous le savez, cela consiste à aller à la rencontre de personnes sans domicile fixe par exemple. Pour une personne qui a vu défiler toute la journée des passants qui ne l’ont pas regaré, avoir la visite d’un bénévole, en pleine nuit, qui vient simplement lui rendre visite à lui, lui offrir un café et discuter sans rien attendre de plus que d’établir un lien, en termes de reconnaissance et de dignité, cela a une valeur immense. Simplement par solidarité humaine, le bénévole dit en substance que la relation établie lors de cette rencontre a suffisamment de prix en elle-même pour justifier son action.

Dans une société où l’on recherche des spécialistes et des professionnels pour tout, où l’on a tendance à n’accorder une valeur qu’à ce qui se paye ou se monnaye, comment le bénévolat peut-il trouver sa place et sa légitimité ?

A l’Association des paralysés de France, nous accueillent des personnes en situation de handicap très lourd. Pour certaines d’entre elles, s’il n’y avait pas de rencontre avec des bénévoles, les seules relations humaines qu’elles entretiendraient seraient dans une relation de spécialiste à malade. L’un d’entre eux me confiait dernièrement « si je ne fais pas gaffe, je peux ne rencontrer que des pros… jusqu’à 5, 6 voire &0 spécialistes différents par semaine. » Pour autant, les professionnels agissent avec une conscience et un souci de la relation remarquables. Mais du fait des contraintes techniques d’organisation du travail, ils sont de plus en plus confrontés à des logiques de « rentabilité », de « gestion à l’acte », de compte-rendus où ils doivent justifier de leur action et du temps passé auprès de chaque bénéficiaire. Dans certains cas, la personne peut avoir le sentiment d’être réduite à un « objet d’action sociale ».

Est-ce à dire que les professionnels n’ont pas le temps de considérer les malades dans leur globalité et qu’ils sont obligés de déléguer cette mission à des bénévoles ?

Professionnels et bénévoles agissent dans une complémentarité qui peut être très féconde. Il ne s’agit pas de les opposer. Les bénévoles peuvent être très « pro » dans leurs interventions. Et les professionnels très « humains ». Ce qui compte, c’est que les bénéficiaires entretiennent une diversité de relations. J’encourage vraiment professionnels et bénévoles à échanger entre eux sur leur pratique pour mettre en valeur la richesse qu’un tissu de relation divers peut apporter à chaque personne qu’ils accompagnent.

Propos recueillis par Emmanuelle Audras

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Dans la Bible…

« Laissez les petits enfants venir à moi,
c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume
de Dieu »

En quatre versets (Evangile de Marc 10, 13-19), l’essentiel est dit : ce n’est pas à la manière des grands, qu’on accède au Royaume de Dieu, mais à la manière des petits enfants.

Qu’est-ce que ces petits viennent faire dans la cour des grands ? Semblent penser les apôtres… Mais Jésus les rabroue et il inverse la situation : ce ne sont pas les grandes personnes ((entendez :celles qui se croient arrivées) qui vont montrer le bon exemple à ces ignares de petits, mais l’inverse.

Les grandes personnes, elles savent tout (elles croient tout savoir) et souvent, elles veulent tout posséder. Mais il y a ceux qui savent et qui possèdent, et ceux qui comprennent et qui ont les mains vides… les petits : eux ne calculent pas leur intérêt ; ils réagissent selon leurs besoins et avec le coeur. Ils nous aident à retrouver cette spontanéité qui permet d’être en vérité avec Dieu. Cette solidarité aussi, car tous nous avons des besoins. Grands et petits. Et sous le regard de Dieu, il y a comme une égalité de tous.

D’ailleurs, la prière qu’il a laissée à ses disciples, n’est-ce pas : Notre Père… Et que lui demandons-nous ? Le pain dont nous avons besoin, et son pardon pour aimer comme lui. Cela veut dire que Dieu est père… mais un père qui sait se mettre à la place de ses enflants !

N’est-ce pas cela, au fond, le bénévolat ?

Père Hugues Guinot, chargé de mission formation

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Au cœur des maîtrises

Par Audrey Toulemonde et Jean-Mark Guérin

L’engagement bénévole suscite souvent, tant de la part des chefs et cheftaines que de la part des enfants et des jeunes, réactions et quêtions. Voici quelques éléments de réflexion et de réponse.

« Je suis bénévole : ça veut dire que je fais
ce que je veux, quand je veux, si je veux ? »

Bénévole, est-ce celui qui « veut bien » un échange de bons procédés ? Mettre à disposition son énergie et ses idées, quand on a le temps et surtout quand on en a la volonté ?

La mission de chef et cheftaine invite à « éduquer des enfants », « leur permettre d’expérimenter l’autonomie et la responsabilité en vivant dans la nature ». Difficile, dans ces conditions, de favoriser la présence de chaque jeune dans le projet si on est disponible en dents de scie. Difficile de répondre aux questions des jeunes sur leur foi si on ne chemine pas à leurs côtés pendant les temps spirituels.

« Si je ne viens pas à la fête de groupe ; si je pars samedi avant la veillée… Serais-je sanctionné ? On ne va pas me radier, on ne peut pas se passer de mes services ! » Sans rémunération ni code, le choix d’être chef ou cheftaine repose néanmoins sur un contrat moral passé entre le groupe et le chef, mais aussi auprès des familles. Comment le chef peut-il être considéré comme éducateur fiable et référent s’il est absent aux temps d’échange au début ou à la fin des réunions ? Rendre des comptes, au sens propre comme au figuré, développer ses compétences par la formation, préparer et relire ses animations en maîtrise, c’est aussi du temps pour donner du sens à ce que l’on fait… pour le bénéfice des jeunes. Sans pour autant être corvéable à merci, le bénévole n’est donc pas celui qui « veut bien » comme un accès de faiblesse, celui qui s’est fait avoir, mais celui qui a choisi, qui veut « bien faire », qui a « une mission » qui est bénéfique aux jeunes et à la communauté auprès de qui il s’engage.

« Dois-je leur dire que je ne suis pas payé ?
Quand ? Comment ? Pourquoi ? »

La transparence est ici le mot-clé ! En parler, oui mais avec justesse. Que ce soit lors d’une réunion de parents ou lorsd’une discussion informelle avec les jeunes, dire que l’on est bénévole ne doit pas être utilisé comme une arme imparable pour justifier ses manques… de patience, de présence, de sérieux, ou mettre en place une forme de chantage affectif du genre « moi je suis là à titre gratuit, alors si ça continue je m’en vais ! » La gratuité de l’acte bénévole lorsque’elle est reconnue, peut être un formidable moteur dans les relations humaines. Un cadeau, ça se reçoit et ça se respecte. Ce qui se traduit dans la relation par un surcroît de confiance.

Pour autant, parler de la gratuité du bénévolat en monnaie sonnante et trébuchante, ne doit pas faire oublier que la rétribution peut être d’une autre nature. Qu’est-ce que ça m’apporte à moi personnellement, pour conduire ma vie dans une direction qui a du sens pour moi, pour mes relations avec les autres, pour mon cheminement personnel ? Donner de mon temps, partager mes compétences, m’engager dans la durée donne du goût et du sens à la vie. Mettre des mots dessus est une manière aussi de prendre conscience de toute cette dimension qui ne se paye pas.