Le pluralisme

Dossier

Ce dossier puise son contenu dans le hors-série n°1 de la revue « Azimut », destinée aux responsables du mouvement des Scouts et Guides de France. Morceaux choisis.

Editorial de Philippe Bancon, délégué général

« Nous reconnaissons que le pluralisme fait partie du projet du mouvement, dit l’une des orientations du plan triennal 2010-2013 ». Comme scout et guide, nous savons combien la différence est source d’enrichissement mutuel et combien nous avons à gagner à dialoguer avec d’autres, différents de nous. Nous en faisons très souvent l’expérience dans nos territoires et nos groupes comme dans des rencontres internationales.

Le pluralisme pour notre mouvement n’est plus aujourd’hui une interrogation, il est une nécessité. Parce qu’il traverse non seulement notre société mais aussi chacun de nos, il devient incontournable. Les éducateurs que nous sommes se doivent d’adapter leur proposition de scoutisme à cette situation. « Nous voulons dépasser les craintes et peurs que le pluralisme soulève », poursuit notre orientation. Il est urgent que nos groupes et nos territoires soient davantage aux couleurs de leur quartier, de leur ville, de leur paroisse. […]

Quelques citations et maximes

Des phrases courtes qui essaiment le dossier d’Azimut, et se laissent apprivoiser en même temps qu’elles sèment une petite réflexion.

« Un homme, c’est du mitoyen » – Jacques Audiberti
« L’homme a ce choix : laisser entrer la lumière ou garder les volets fermés » – Henri Miller
« Chaque fleur a son parfum » – Proverbe turc
« Ceux qui ne savent pas écouter ne savent pas non plus parler » – Héraclite
« Je est autre » – Claude Simon
« Savoir écouter, c’est posséder, outre le sien, le cerveau des autres » – Léonard de Vinci
« Je suis homme, et rien de ce qui est humain, je crois, ne m’est étranger » – Térence
« Nous devons apprendre à vivre ensemble comme ds frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots » – Martin Luther King

Dialoguer et choisir le pluralisme

Par Guillaume Légaut, membre du Conseil d’administration et ancien président des Scouts et Guides de France (2003-2010)

Dès son origine, le scoutisme choisit le pluralisme. Prenant la différence comme une richesse et offrant la pratique de l’indulgence réciproque, il a traversé le temps et l’espace en s’adaptant aux cultures de nombreux pays et de différentes époques. Les Scouts et Guides de France cherchent à actualiser ce choix.

Le pluralisme est au cœur du projet du scoutisme. Chaque scout et guide adhère à la loi et la promesse de Baden-Powell, dans une expression propre au langage et à la culture de son association. L’unit des fondamentaux du scoutisme connaît une pluralité de formes d’expression dans la fraternité mondiale. « Entre les peuples du monde, il existe des différences dans la pensée et dans les sentiments comme il en existe dans la langue et dans l’aspect physique. […] Si nous pratiquons l’indulgence réciproque et si nous sommes ouverts à l’échange avec les autres, la sympathie et l’harmonie s’installent naturellement parmi nous » écrit Baden-Powell en 1920.

Parce que l’inspiration de l’Evangile irrigue leur projet, les Scouts et Guides de France permettent à des jeunes ayant un rapport à Dieu bien différents les uns des autres de se rencontrer. Lieu d’Eglise où cheminer et célébrer, lieu d’initiation où rencontrer des personnes qui témoignent de leur foi au Christ, trait d’union avec la religion chrétienne pour ceux qui vivent d’une autre foi, le mouvement témoigne de l’ouverture au monde de l’Eglise catholique. Association reconnue d’utilité publique, les Scouts et Guides de France sont ouverts « à toutes et tous, sans distinction de nationalité, de culture, d’origine sociale ou de croyance ». Issu de la fusion des Scouts de France et des Guides de France en 2004, le mouvement a fait le choix « d’une mixité fondée sur une pédagogie tenant compte des différences et de l’altérité entre les sexes, qui consiste à aider le garçon et la fille à se construire par identifications successives qui respectent les étapes de maturité, les centres d’intérêt, la relation au temps, les modes de fonctionnement de chacun et qui utilisent ces différences comme leviers éducatifs, que ce soit dans des unités « homogènes » ou regroupant des équipes de garçons et des équipes de filles ». En actualisant ce choix du pluralisme par une résolution en 2009 puis une orientation en 2010, l’assemblée générale a ouvert des perspectives nouvelles au mouvement.

De nouvelles formes de démocratie à inventer

Le monde semble dominé par l’individualisme et la consommation. Les formes traditionnelles de la démocratie peinent à assurer la cohésion sociale, la justice sociale et la garantie des libertés. Le monde pluraliste pose le défi d’inventer de nouvelles formes de démocratie. Dans le scoutisme, la pratique de la délibération et de la décision en conseil apprend à chaque jeune que l’enjeu de la démocratie est moins de convaincre qu’il a raison que de parvenir à comprendre le point de vue des autres, à enrichir le point de vue majoritaire avec l’apport des minorités et à assumer un engagement personnel à contribuer au bien commun. Le choix du pluralisme invite le mouvement à approfondir ce projet d’une éducation à la démocratie fondée sur une justice équitable plutôt qu’égalitaire, sur la maximisation des avantages collectifs plutôt que la maximisation des intérêts individuels, sur la coopération et la mutualisation des capacités plutôt que la compétition et la consommation, sur la reconnaissance de la dignité des personnes plutôt que l’indifférenciation et la diversité. Il appelle à remettre la rationalité de la gratuité et du  don dans un champ démocratique préempté par une raison matérialiste et technique.

Avec la mondialisation, les autres civilisations et les autres cultures viennent nous visiter, déstabiliser nos repères et enrichir notre propre culture. Il devient plus difficile de trouver les mots pour dire le sens de ce que nous vivons. Dans le scoutisme, la fraternité partagée en petits groupes offre un espace traversé par le pluralisme et animé par la confiance, où l’authenticité de l’expérience entre en résonance avec l’être religieux caché au fond de chaque jeune. Bien des chants du scoutisme font découvrir aux jeunes ce qu’ils espèrent. Bien des aventures vécues ensemble ou des actions simples de service leur font toucher une qualité de relation dont ils ont soif.

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Remettre la gratuité et le don dans le champ démocratique
préempté par le matérialisme et la technique

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Bien des silences partagés ou la frugalité de quelques paroles croyantes leur ouvrent les portes du cheminement intérieur et de moments de communion d’une valeur inestimable. Le choix du pluralisme appelle le mouvement à porter un regard de confiance sur l’être religieux des jeunes, à accueillir la manière dont ils se place en responsabilité vis-à-vis de ce qui les relie aux sources de leur vie, à accompagner le témoignage en actes et en paroles de celles et ceux qui vivent la foi chrétienne, à manifester par le dialogue son amitié profonde envers les autres religions. Il appelle à faire place non seulement à l’annonce de la foi mais à l’expression de la vie de foi au sein du mouvement traversé par le pluralisme du monde et le brouillage des identités sociales.

Une confiance donnée à chaque personne

Le pluralisme pose la question d’habiter autrement la planète. L’humanité a pris conscience des limites d’un monde où elle croit sans fin pouvoir dominer la nature. Mais le pluralisme pose la question des limites d’une humanité où les relations entre les personnes sont fondées soit sur la concurrence, soit sur la contractualisation (protection mutuelle contre des risques). Dans le scoutisme, les jeunes apprennent à faire alliance pour prendre ensemble des risques et partager réussites et échecs. Le choix du pluralisme invite le mouvement à approfondir la reconnaissance du trésor unique d’humanité qui est au cœur de chaque jeune et l’accompagnement de chaque jeune dans sa capacité à grandir et à prendre sa place dans la communauté des hommes et des femmes. Il appelle à faire le choix définitif d’une reconnaissance réciproque de l’altérité et de la capacité d’apport mutuel, dans la relation entre garçons et filles, dans la relation entre des jeunes issus de différentes traditions de scoutisme, dans la relation entre des jeunes en situation différente de handicap. C’est dans « l’inter » que se vit le jeu, la capacité à établir des rapports de différence fondés sur la reconnaissance réciproque et non la domination de l’un sur l’autre.

« L’homme est un solitaire qui a besoin des autres. Et plus il est ouvert et plus il devient grand. Découvrez ma culture, j’apprendrai la vôtre. […] Comme on croise nos voix, croisons nos habitudes. […] Cessons de voir petit, prenons de l’altitude. Partageons nos idées, nos valeurs, notre temps. » – Grand Corps Malade